Le monde resterait-il de droite ?

En 2012, l’électeur français a viré Sarkozy pour remettre en selle une gauche dont on n’attendait pas de miracles. En 2013, la Norvège referme sa page sociale-démocrate et réhabilite la droite. 2014 sera l’année du renouvellement du Parlement européen. L’agitation politique va donc reprendre de plus belle, avec son cortège de buzz médiatiques et de people en herbe se répandant dans de pseudo-débats. Mais sur le fond, que se passe-t-il donc à gauche de l’échiquier politique ? La gauche extrême, qui parait gagner quelques points, semble surtout aspirer les déçus de « la gauche molle ». Les valeurs de « ces » gauches sont-elles encore audibles à notre temps ? Décodage.

La fin du travail
Tel fût le titre d’un livre de Jeremy Rifkins, paru en 1995 aux Etats-Unis et sous-titré par « Le déclin de la force globale de travail dans le monde, et l’aube de l’ère post-marché », et qui nous parlait du phénomène des loisirs sur la conscience populaire, des technologies de l’information alors naissantes, notant par ailleurs que « les entreprises planétaires n’appartiennent plus à aucune communauté humaine et ne sont enracinées nulle part », évoquant par là l’autre transformation du monde : la naissance de la mondialisation et de la globalisation. Elles ont entraîné une dislocation du tissu d’entreprises nationales, qui se sont éparpillées au niveau mondial là où les coûts de production leurs semblaient plus abordables. La fin du travail, il faut surtout la traduire par une menace de la cohésion et l’insertion sociale indispensables à l’émancipation de l’individu. C’est en partie ce qu’il est advenu, mais pour ceux qui sont « restés dans le circuit », cette transformation de la société mondiale aura eu un effet durable sur les idéologies politiques. Qu’en est-il ?

L’ascension du progrès
C’est peu dire si la période des années 90 à nos jours a accouché d’une métamorphose. D’abord par le fait que le salariat d’hier diffère assez radicalement de celui d’aujourd’hui. La non-obligation scolaire avait promut dans le bas de l’échelle sociale tout une population vers les emplois les moins rémunérateurs et les plus basiques. Peu instruite, cette classe sociale avait l’oreille attentive des harangueurs de tout poil et des prometteurs de beaux jours. Le syndicalisme de cette époque a ainsi pu se forgé – non sans raisons – au travers des diverses luttes sociales qui ont particulièrement émaillé le triangle d’or Rail-Charbon-Acier. Le suivisme était la règle, la solidarité, naturelle. Mais à force de progrès, celui-ci a fini par rattraper ceux-là mêmes qu’on défendait. Au plus on se rapprochait de la modernité, au plus les masses populaires voulurent goûter aux joies du loisir et de la consommation. Congés payés, vacances, télévision puis internet se sont incrustés durablement au sein de l’électorat.

L’ère de l’individu
Ainsi naquit la « grande transformation » de la société, qualifiée notamment de « monstre doux » par Raffaele Simone. Ce sympathisant de gauche détaille la transformation sociétale entamée dès les années 80. La droite actuelle aurait repris un modèle de société qui fait mouche auprès du grand public : primauté du divertissement sur le savoir, de la consommation sur le devoir citoyen, du culte du corps jeune et beau, et démultiplication faramineuse des gadgets technologiques. Le travail, honni, est rapidement passé sous silence pour passer à une « vie de carnaval » où le divertissement rythme la vie privée et sportive, reformate l’espace public et crée un monde tout en pixel. L’individu est proclamé roi et toutes les couches de la population y ont adhéré comme un seul homme, posant un problème idéologique grave « à ceux d’en face ». Qui donc ?

Ringards
Tel pourrait être le qualificatif des « antis », à savoir essentiellement un monde gauche accroché à ses idées sociales, exigeant des attitudes contraire à la consommation et à l’immédiateté. Il faut dire que la panoplie de projets énoncés à coup de blogs, carte blanches et autres livres par une myriade d’associations, de syndicats, d’idéologues convaincus ne présente rien de réjouissant : focus exclusif sur la pauvreté et les sans grades, critiques répétées contre « ceux qui possèdent », dévalorisation du bien-être, partage sans concession, internationalisme lointain, angélisme idéologique face à l’insécurité, mixité forcée, négation de la différence sociale, le tableau est l’exact contraire de leur couleur d’adoption, le rose !

Face au culte de l’individu, les propositions sociales de la gauche semblent du coup se révéler être une menace d’autant plus grande qu’elles restent associées à une histoire effrayante : celle de l’implantation du communisme durant 50 ans sur une moitié de l’Europe. Le pillage, la mixité forcée et la négation de l’individu ont bénéficié d’une expérience grandeur nature par le biais d’une succession de régimes tyranniques et misérables, dont il ne reste fort heureusement plus rien. Le syndrome communiste perle cependant encore sur la gauche radicale représentée par Jean-Luc Mélenchon ou le PTB belge, quand ce n’est pas chez le syndicat français CGT. Difficile dès lors d’extirper cette douloureuse période de la mémoire collective.

Part de marché idéologique
Pour renaître, le socialisme a dû clairement s’adoucir et donner des gages d’empathie vers un électorat bien plus large, souvent vers le centre-gauche, donnant lieu à ce qu’on appelle de nos jours « le blairisme », sorte de sociale-démocratie épurée de toute forme d’esprit contestataire et s’éloignant des classes ouvrières et de leurs syndicats. Cette politique a parfaitement réussi en Wallonie où l’inamovible PS semble bénéficié d’un socle d’électeurs inoxydable. Ce fût moins glorieux ailleurs en Europe, avec des hauts et des bas. A l’extrême gauche, on ré-agite les recettes d’antan avec une conviction quasi pathétique, dans le but d’aspirer les déçus du « blairisme » et du rose pâle. De quoi morceler encore un peu plus le paysage déjà quadrillé par une pléthore de sympathisants aux actions très dispersées.

En définitive
Il est douteux que le monde enchanteur du divertissement, de l’hédonisme et de l’argent s’écroule du jour au lendemain. Qui peut honnêtement se passer du GSM, de l’Internet, des congés et de son bien-être individuel en général ? La droite, prise au sens large, semble mieux en phase avec une modernité qui compte occuper durablement la conscience populaire. Dans ce contexte, serait-ce donc la gauche qui est conservatrice et ringarde ? Poser la question, c’est peut-être déjà y répondre…

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